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« krisis » (« κρισις »): Action ou faculté de distinguer

Je lis et entends beaucoup d’analyses concernant « l’effondrement des valeurs, ou des repères », « le changement de paradigme » et «  le monde d’après ».

Il est indéniable que chacun peut percevoir à la lumière de la crise sanitaire et économique actuelle, un vacillement des certitudes et l’éclosion de solutions et visions en tous genres.

Avant toute chose, je fait ma déclaration d’intérêt: je n’ai aucun engagement ou intérêt personnel, car comme Terence Hill aurait pu le dire: « Mon nom est Personne ».

En réalité, j’ai au contraire tout intérêt à évoquer ma perception du sujet ! 

Celui de voir mes clients éviter le piège de « l’effet loupe » et du syndrome du «  bateau sans amarre ».

L’effet loupe

Insidieusement, il accompagne chaque situation de crise. Un autre biais de perception. 

La situation de choc nous oblige à rechercher du sens (ou des contre-sens) et nous focalisons sur chaque point faisant abstraction de notre mémoire sur des mécanismes semblables, connus en contexte plus neutre. 

On croit tenir des révélations, une prise de conscience qui peut nous inquiéter, nous questionner, voire recevoir l’illumination en trouvant des solutions !

Mais le bénéfice premier (inconscient souvent) reste de nous rassurer dans notre capacité de maîtrise apparente de la situation. 

Le monde de la santé, la « science basée sur les preuves » connaît ce que la finance (l’économie) ou les sciences sociales vivent depuis bien longtemps. 

Les preuves sont souvent utilisées pour servir le concept, voire le dogme, et ne souffrent que peu de contradiction. 

Ce sont alors des preuves-pour ou des preuves-contre, mais plus des preuves … libres.

Les modes se succèdent pourtant et on prétend alors à une « évolution » pour ne pas dire qu’on s’est trompé .

Se tromper, c’est pourtant une belle source de progression.

Récemment, souvenez vous de la crise de 2008, des scandales bancaires. 

Le point commun reste le système de pensée à imposer. « Le Progrès » et « la sécurité » sont toujours avancés pour expliquer les choix passés, ainsi que les solutions apportées aux crises. 

Se révèlent alors pas mal de « pompiers-pyromanes ».

Au nom du progrès, tout est envisageable car il se veut alors une fin en soi. 

Combien se vantent d’être « progressistes » ? 

Je me méfie toujours des mots en -iste. Suffixe qui élude de fait la nuance.

Déjà très jeune j’entendais cette question: « Le progrès est-il un progrès si il n’est pas fait POUR l’homme? »

Et la polémique pouvait enfler entre les techniciens spécialistes et les visionnaires humanistes. 

Les événements majeurs sont accompagnés d’une promesse salvatrice d’un « monde meilleur », d’un « avant et d’un après ». 

La population Allemande des années 30, les Américains pour chaque guerre engagée ( aucune nation n’est épargnée bien entendu ) ont crû à cette promesse car elle touchait à la sécurité et ouvrait un rêve de liberté et d’apaisement bien légitimes. 

Les horreurs pouvaient donc commencer, … pour le meilleur, sans culpabilité.

Les dubitatifs sont relayés au rang de vieux réacs et d’idiots pour les mieux lotis, de complotistes ou fascistes / anarchistes au coeur de la crise. 

« L’effondrement des valeurs ou des repères  » est donc réel…  mais il est permanent !!!  Il se révèle particulièrement sous «  l’effet loupe » . 

Contrer l’effet loupe avec une pensée lucide.

En temps de crise, il est important de garder « une pensée lucide ».

Prenez le terme « crise » en grec, « krisis » (« κρισις ») qui est: l’action ou la faculté de distinguer. ( = discriminer )

Il ne s’agit en rien d’un basculement.
La crise est le moment privilégié pour ne pas subir l’émotion, et au contraire passer au tamis les informations pour en sélectionner les plus pertinentes.

L’émotion n’est pas une information. Ce sera plutôt un facteur perturbateur de l’information.

L’émotion est à la fois une aide, car nous sommes des êtres sensibles bien heureusement, mais potentiellement un risque si on la considère au rang d’information factuelle.

A ne pas confondre avec l’intuition.

Dans la chronologie de la prise de décision, l’émotion doit venir soutenir, animer la décision prise factuellement. Elle ne doit pas (ou le moins possible) filtrer l’information qui est par définition factuelle.

« Une information ne se trompe jamais ». C’est de la neuroscience, je ne parle évidemment pas de l’info médiatique…

Cette pensée lucide permettra à chacun de pouvoir faire face au SBSA…

« syndrome du bateau sans amarres »

Imaginez que vous embarquiez sur un bateau à quai.

Un pied sur le quai, l’autre sur le bateau. 

Si il est amarré solidement, pas de problème, vous franchissez le pas et vous retrouvez embarqué en sécurité.

Imaginez maintenant que ce bateau ne soit pas amarré…

Vous allez rapidement constater que votre pied droit s’éloigne progressivement de votre pied gauche et que votre triangle de stabilité prend la forme d’une allumette. 

Que se passe-t-il alors dans votre tête ?

Votre projet choisi, votre « monde idéal » (le pied qui est sur le bateau) se distance de votre  « monde réel » (le pied qui est encore à quai).

Trois options principales s’offrent à vous dans l’urgence. C’est le processus de réaction face au danger :

  1. Sauter dans le bateau « libéré » en acceptant l’incertitude de sa destination. ( Combattre )
  2. Vite remettre les deux pieds sur la terre ferme pour plus de sécurité ( fuir )
  3. Ne plus bouger en espérant que le bateau se stabilise ( rester transit ) 

Ces trois schémas sont provoquées au sein du système limbique dont le principe est de faire appel à notre mémoire archaïque pour nous garder en vie.

Les deux premiers choix vous amèneront à vivre une prochaine situation. 

Quelle qu’elle soit, vous pourrez en être acteur.

Dans le troisième cas, soit vous avez la chance qu’un évènement extérieur chasse le danger, soit … vous tombez à l’eau.

Tomber à l’eau c’est perdre toute ressource stable, vous tâcherez selon vos capacités de «  garder la tête hors de l’eau », et de trouver un point d’accroche.

Cette métaphore veut imager la situation de souffrance de beaucoup aujourd’hui, la dissonance cognitive qui, faute de vision de sens, de détermination ou de capacité de « résilience », perdent pied, leurs repères, et leur sécurité.

La souffrance des personnes que j’entends réside le plus souvent dans la lutte intérieure entre leur pensée lucide et leur niveau d’acceptation. 

Je crois que la « pensée lucide » doit revenir au premier plan. 

La méditation pleine conscience, le recentrage… sont une réponse à cette détresse générale. 

Être soi et être dans le monde. Jamais l’un sans l’autre.

Dans l’entreprise, le sens du métier, de la finalité. Son identité. 

Dans la santé, l’inadéquation des moyens, de la notion d’efficience (associée à tort à la performance).

Bref de la raison d’être, et de faire. LE SENS et l’ACTION.

La montée en pression, la panique, peut être résumée à la « pauvreté perçue de nos ressources face à la hauteur surévaluée de la situation à aborder ».

Ceci fait évidemment toute sa place à la responsabilité, en anglais « Response Able » : capable d’apporter une réponse, et élude la notion peu constructive de culpabilité. 

Je ne vois donc aucun monde d’après tant l’histoire humaine a été jonchée d’évènements que notre espèce a surmonté… Sans pour autant en décider.

Agir comme on veut que le monde soit, … et faire confiance. 

Un ancien président disait justement « il n’y a pas de problème qui ne trouve seul sa solution ».

C’est une vision positive, réaliste, certains pourront dire optimiste que je vous propose.

Une réalité qui ne met pas en opposition nos émotions et notre capacité à raisonner, mais qui tend à rassurer tout le monde sur le fait que l’un et l’autre doivent coexister, s’articuler, et nous rendre plus humains.

Je conclurai avec cette remarque de Sadhguru
Inner Engineering – 2017 ):

« La différence entre l’homme et l’animal, c’est que l’homme a acquis la mémoire et l’imagination. 
Pourquoi utilise t-il sa mémoire pour se souvenir des mauvaises choses et son imagination pour envisager le pire? »

Raphaël FRASCA.
Développement de la performance Humaine et Sociale
Fondateur de Reflex Mental
www.reflex-mental.com

09/09/2020